Actualités  |  28 juin 2017

Discours de M. Robert Ophèle à l’AG du 22 juin 2017

Intervention de M. Robert OPHELE le 22 juin 2017 à l’Assemblée générale de l’ASF

 Monsieur le Président, Madame la Déléguée générale, Mesdames et Messieurs,

C’est un plaisir pour moi d’intervenir à l’Assemblée générale de l’Association française des sociétés financières (ASF).

C’est l’occasion de vous présenter les actions et positions de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), dans un environnement marqué par de nombreuses évolutions majeures.

Je me concentrerai naturellement sur les problématiques qui touchent le plus les  sociétés de financement et que vous venez d’évoquer Monsieur le Président. Vous verrez que nos analyses sont largement convergentes.

Mon intervention abordera donc successivement 2 points :

  • La situation générale d’abord marquée en France par une amélioration de la situation économique associée à une montée rapide de l’endettement des agents non-financiers et à un résultat solide des institutions financières.
  • Ensuite l’évolution de l’environnement réglementaire et son incidence sur les modèles d’activité avec quelques éléments de réponse aux questions que vous avez soulevées.

Si la politique accommodante de la Banque centrale européenne n’a pas encore permis de retrouver un niveau d’inflation compatible avec sa définition de la stabilité des prix, elle a permis de restaurer un niveau de croissance supérieur au potentiel de nos économies.

Ainsi, la reprise se confirme bien en France avec une croissance de l’ordre de 1,5 à 1,7 % pour les années 2017, 2018 et 2019, soit un niveau supérieur à notre estimation du potentiel actuel de croissance de l’économie française, j’insiste sur le terme actuel car un certain nombre de réformes sont susceptibles d’accroître ce potentiel, qui est de l’ordre de 1,2 %.

Ceci est clairement dû à la politique monétaire de la BCE qui permet le maintien des taux courts à des niveaux très bas, le taux sans risques à un an est ainsi négatif depuis maintenant trois ans, et malgré leur remontée à partir du second semestre 2016, les  taux longs restent historiquement faibles, avec des taux réels sans risques qui restent très largement négatifs. Le taux réel du 5 ans dans 5 ans tiré des swaps d’inflation et des taux nominaux observés sur la dette souveraine la mieux notée est ainsi   encore négatif d’environ 50 bp.

Cette situation économique globalement favorable a été assez naturellement portée par une accélération de l’endettement qui est particulièrement vive en France. L’endettement des agents financiers privés – ménages et sociétés – a ainsi progressé de 4,8 % en 2016 avec 3,9 % pour les ménages et 5,5 % pour les sociétés. Les chiffres que vous venez d’évoquer sont plus contrastés mais vont dans le même sens avec un financement des entreprises qui s’est montré particulièrement dynamique ; je n’y reviens pas.

Mais j’observe que cette tendance à l’accroissement de l’endettement s’est accélérée en ce début d’année ; mesuré à fin avril, l’endettement des sociétés non financières a progressé de 7 % en un an (et de 20 % en trois ans) ; même si c’est l’endettement de marché qui augmente le plus rapidement (+ 9,4 %), le crédit, qui représente 60 % du total progresse de 5,4 % avec +6,4 % tant pour l’investissement en équipement que pour les crédits de trésorerie. S’agissant des crédits aux ménages, la croissance des crédits atteint 5,8 % (13 % en trois ans) avec +5,7 % pour les crédits à l’habitat.

Cette vigueur de l’endettement, qui nous amène désormais à des taux d’endettement supérieurs à la plupart de nos voisins, appelle à l’évidence une vigilance particulière de la part des autorités tant micro que macro prudentielles.

Dans ce contexte, l’Incidence négative de l’environnement de taux bas sur la marge d’intérêt des établissements, qui est naturellement plus sévère pour les activités de banque généraliste de détail que pour les établissements spécialisés, est en partie neutralisée par un effet volume et par la baisse du coût du risque. De ce fait, le système bancaire français a de nouveau enregistré en 2016 et au premier trimestre 2017 des résultats solides qui leur permettent de poursuivre le renforcement de la qualité des bilans et leur mise en conformité aux nouvelles exigences réglementaires. Les banques françaises se comparent ainsi le plus souvent favorablement à leurs principales concurrentes européennes.

Les financements spécialisés ont, dans ce contexte, dégagé des résultats particulièrement satisfaisants, avec des revenus en croissance de 3,4 %, un coût du risque en repli de 17,7 % et une progression du résultat avant impôt de 15,1 %. Les banques présentes dans ce métier ont souligné une bonne dynamique dans le crédit à la consommation, notamment dans le financement automobile, et la bonne tenue des crédits d’équipement.

Malgré une situation financière solide des principaux établissements français, plusieurs risques justifient une surveillance rapprochée de l’ACPR.

En premier lieu, la situation de taux bas actuelle ne doit pas conduire à une prise de risque accrue de la part des établissements, dans le but de sauvegarder leur rentabilité.  À l’inverse, si la repentification progressive de la courbe des taux devrait avoir  un impact positif sur la rentabilité des banques, la persistance de risques politiques en Europe ou aux États-Unis ne permet pas d’exclure le scénario d’une remontée rapide qui pourrait se révéler dommageable si les politiques de gestion actif-passif étaient prises   en défaut dans leur phase de réajustement. L’analyse en cours de la Banque Centrale Européenne sur le risque de taux du portefeuille bancaire des grandes banques européennes devrait, de ce point de vue, apporter un éclairage utile.

En second lieu, la digitalisation croissante de la relation client et l’émergence de nouveaux acteurs imposent aux institutions financières de poursuivre l’adaptation de leur modèle d’activité et de consentir d’importants investissements dans le domaine numérique. Vos adhérents, comme beaucoup d’établissements aujourd’hui, modifient ainsi leurs canaux de distribution en investissant dans les technologies du numérique. Bien que le développement de ces technologies procure des opportunités indéniables, la période de transition en cours appelle l’attention des superviseurs. En particulier, une remontée rapide des taux pourrait provoquer une réorientation des dépôts vers les acteurs non traditionnels qui, du fait de leur structure opérationnelle légère, seraient en mesure de proposer des conditions de rémunération des comptes plus attractives que celle offertes par les acteurs traditionnels.

Cette adaptation est d’autant plus complexe que, comme vous l’avez souligné, l’agenda réglementaire n’est pas achevé et que la concurrence de nouveaux entrants dans l’intermédiation financière se développe.

Beaucoup de réformes ont été mises en œuvre qui nous donnent aujourd’hui un système bancaire plus robuste sans que le financement de l’économie en ait été perturbé. Toutefois, la question peut se poser pour l’avenir, tout particulièrement à l’heure où Bâle 3 doit être finalisé et évalué, et ce même si le « Bâle 4 » annoncé par les observateurs n’est absolument pas à l’ordre du jour.

Au titre de cette finalisation, la nouvelle approche standard crédit introduit une mesure plus fine des expositions qui devrait permettre de mieux prendre en compte les différents profils de risque. Je souhaite rappeler que nous avons obtenu dans les discussions du paquet en cours de finalisation l’assimilation des prêts cautionnés, spécificité française, aux prêts hypothécaires. Comme vous le savez, le principal point  qui reste à trancher, et qui continue de diviser les membres du Comité, est celui de la fixation d’une exigence plancher pour les établissements utilisant les approches  internes, ce qu’on appelle l’« output floor ». Pour la France, mais aussi d’autres partenaires européens comme l’Allemagne, les Pays-Bas et la Commission, le niveau évoqué de 75% n’est pas acceptable car il deviendrait la première contrainte réglementaire pour la majorité des établissements utilisant des modèles internes et empêcherait de ce fait la sensibilité aux risques que nous défendons. Nous souhaitons qu’un accord soit basé sur un niveau inférieur de ce plancher, qui s’accompagne d’un renforcement du contrôle des modèles internes, à l’image de la revue « TRIM » conduite par le Mécanisme de Supervision Unique ; nous continuons d’œuvrer pour parvenir à un tel accord.

Dans le projet discuté actuellement au Conseil et au Parlement européens, de nouvelles normes de gestion ont été introduites conformément aux standards internationaux : le NSFR en particulier. Or il faut se rappeler que pour être considérées par la règlementation comme équivalentes aux banques en matière de qualité de crédit, les sociétés de financement doivent appliquer des exigences « comparables aux établissements de crédit en termes de solidité ». La question se posera donc au plan national, le moment venu, de la nécessité de leur appliquer ces nouvelles règles, en examinant avec attention l’intérêt prudentiel -il est par exemple sain pour un établissement de disposer d’une part suffisante de financement stable, de nature à maintenir l’offre de crédit en cas d’assèchement des financements de marché- tout en veillant à l’impact potentiel d’une telle mesure.

Cela étant, nous connaissons bien les sociétés de financement et dans tous les cas, nous veillerons à ce que leur régime réglementaire soit adapté à leur modèle d’entreprise et à leur rôle dans le financement de l’économie. À ce titre, dans la proposition NSFR de la Commission l’assimilation des prêts cautionnés aux prêts hypothécaires et de l’affacturage aux opérations de « trade finance » sont déjà des avancées favorables aux métiers spécifiques du secteur ; je vous confirme bien s’agissant de l’affacturage que l’assimilation n’est dans notre esprit pas une option et qu’elle remonte  automatiquement au niveau consolidé.

A l’aune de ces exemples, l’idée-clé qui doit guider notre action est bien celle d’une « supervision axée sur les risques ». Nous savons que le principe de proportionnalité est un enjeu majeur. En effet, la simplification des exigences administratives ou de conformité, est une voie à privilégier afin de réduire les coûts qui peuvent sembler disproportionnés. Le défi consiste à gérer cette simplification tout en maintenant à la fois des normes prudentielles robustes, et une concurrence équilibrée, tant entre les différents secteurs que géographiquement.

La révision en cours de CRR/CRD propose par ailleurs plusieurs mesures ciblées visant à faciliter le financement de l’économie. À titre d’exemple, la Commission européenne propose d’étendre le facteur de soutien aux expositions sur les PME au-delà du seuil actuel de 1,5 MEUR pour chaque exposition. Elle propose également d’introduire un facteur de soutien aux expositions sur des projets d’infrastructures. Si l’intérêt de soutenir le financement de ces investissements ou de ces acteurs essentiels de l’économie est indiscutable, il convient de veiller à ce que les règles prudentielles restent le plus sensibles possibles aux risques qu’elles mesurent.

Tout cela est donc favorable.

Un mot sur Anacredit, projet majeur de l’Eurosystème, dont vous avez souligné le poids pour les sociétés de financement. Ce projet est au carrefour de préoccupations de politique monétaire, de stabilité financière et de supervision micro-prudentielle : il est nécessaire de savoir à qui prêtent les établissements de crédit, où qu’ils soient localises dans la zone euro et il est maintenant évident qu’à l-heure du big data, les analyses, qu’elles soient monétaires, macro ou micro prudentielles, ne peuvent plus reposer uniquement sur des agrégats, mais sur des données granulaires qui permettent d’examiner les dispersions autour des moyennes, et ainsi de prendre des décisions mieux informées et potentiellement mieux ciblées.

Par ailleurs, les besoins de données peuvent varier avec l’activité économique et financière ; pour éviter des demandes nouvelles de données, imprévues et  perturbatrices pour les systèmes d’information, la demande initiale doit être détaillée, avec un nombre élevé d’attributs.

C’est ainsi que la règlementation Anacredit a abouti, après consultation du parlement européen, a plus de 90 attributs. Il faut cependant avoir à l’esprit que la Banque de France, tout en soutenant le projet, a été active pour faire en sorte que soit réduit le nombre de paramètres en-deçà de ce qui était initialement envisagé, que soient prévues des possibilités de dérogations nationales, et que soit adopté le seuil français de 25 K€, il est vrai par prêt et non plus par emprunteur puisque Anacredit collecte des  informations créance par créance.

Mais je mesure le poids pour les établissements qui ont à mettre en œuvre Anacredit, avec une première déclaration au titre des actifs détenus au 30 septembre 2018, donc prochainement.

C’est pourquoi la Banque de France a exercé au maximum les possibilités offertes dans  le règlement d’accorder des dérogations nationales. Ainsi quelques 240 établissements d’activité modeste peuvent ne pas être soumis au règlement Anacredit.

En outre, nous avons tenu à entretenir depuis des mois un dialogue étroit et permanent avec les établissements. Un exemple particulier sera l’intervention conjointe de la Banque de France et de l’ACPR le 27 juin, à l’ASF Formation, qui visera à expliquer dans le détail les caractéristiques d’Anacredit ainsi bien sûr, qu’à répondre aux questions des participants, en complément de la foire aux questions que nous avons mise en place et qui est accessible à chacun d’entre vous pour nous poser vos questions.

Je voudrais, avant de conclure sur ce sujet, évoquer un point particulier de ce projet  que vous avez d’ailleurs évoqué. Il s’agit de l’affacturage.

Sur ce sujet, la Banque de France a défendu une position similaire à celle de l’ASF au sein de tous les groupes et comités de l’Eurosystème. Cette action conjointe a finalement abouti à l’abandon par la BCE d’une collecte facture par facture compte tenu des volumétries en cause, au profit d’une approche client par client ou débiteur par débiteur.

Une question reste en effet en suspens, relative à un traitement différencié dans Anacredit selon que l’opération est avec ou sans recours. Il est envisagé que dans le premier cas la contrepartie du crédit soit le client de l’affactureur, dans le second le débiteur du client. La position française initiale est que seul soit considéré le client   quelque soit le type d’opération. Néanmoins, l’aboutissement probable des réformes réglementaires de l’EBA, actuellement en cours de discussion, fermera cette possibilité, y compris juridiquement puisque le règlement Anacredit renvoie aux normes règlementaires de l’EBA. Nous restons malgré tout vigilants sur cette question et plaidons donc pour un délai spécifique de mise en œuvre.

Pour finir ce volet réglementaire, un mot sur la difficulté, que vous avez mentionnée, rencontrée par certains établissements lors de contentieux où il leur était demandé de produire la preuve de la consultation du FICP, sous peine de déchéance du droit  à intérêt. Dans un contexte de consultations totalement dématérialisées, cette demande conduit à une « rematérialisation » d’une preuve. Très souvent, les documents produits par les établissements ont été sanctionnés par des tribunaux au motif que nul ne peut se constituer de preuve par soi-même. La multiplication de ces contentieux pourrait avoir de graves conséquences sur le modèle économique de la distribution du crédit aux particuliers, notamment depuis que la consultation préalable du FICP est devenue obligatoire y compris pour les crédits immobiliers. C’est pourquoi, la Banque de France, gestionnaire du fichier, propose ce jour même à la Place, et en accord avec la Direction générale du Trésor, un service de notarisation des seules consultations  obligatoires, c’est à dire celles préalables à l’accord d’un crédit et qui ne représentent que 2% des consultations totales du fichier, ce service ne remettant toutefois pas en cause le  principe de responsabilité de l’établissement dans la preuve de la consultation, fixé dans le texte de l’arrêté de 2010. Cette mesure qui nécessitera des adaptations dans les systèmes d’information des établissements pour isoler les consultations obligatoires et leurs motifs, ne pourrait toutefois pas être disponible avant début 2019.

Pour conclure, je voudrais évoquer la concurrence d’entités qui apparaissent comme moins   régulés   et   qu’on   regroupe   souvent   sous   l’appellation   simplificatrice     de « FinTech ». Celles-ci concurrencent l’activité financière traditionnelle – tant les établissements de crédit que les sociétés de financement ou que les entreprises d’investissement voire même les assureurs -.Certaines d’entre elles participent d’un mouvement plus général de multiplication des brèches au monopole bancaire, qui viennent concurrencer les sociétés de financement : crowdfunding (élargi via l’ordonnance de 2016 sur les minibons), développement du prêt inter-entreprises (loi Macron), ou encore structuration de projets via des fonds d’investissement alternatifs autorisés à prêter directement aux entreprises (gérés par des Société de Gestion de Portefeuille, ils peuvent en outre être labellisés ELTIF pour pouvoir bénéficier du passeport européen).

Le secteur du financement et des services de paiement est très investi par les nouveaux acteurs qui proposent des services qui bouleversent les modèles traditionnels, en misant sur un élargissement du marché (avec de nouvelles offres et de nouveaux outils) et sur  la personnalisation des offres à l’aide d’algorithmes. À ce titre, les sociétés de financement, par nature spécialisées sur des métiers/activités bien définis, pourraient potentiellement être plus exposées à ces nouveaux concurrents que des entités généralistes plus diversifiées.

Dans ce contexte, la Banque de France et l’ACPR en étroite concertation avec l’AMF ont pour objectif de s’assurer que la concurrence se déroule dans des cadres règlementaires équilibrés afin d’éviter les distorsions indues et les risques pour la stabilité financière.

Nous pensons d’ailleurs que les Fintech qui réussiront vraiment auront besoin, en quelque sorte pour transformer l’essai, de demander une licence traditionnelle, leur permettant d’exercer une vaste gamme de services financiers : entreprise d’investissement, société de financement ou établissement de crédit ; de fait trois régimes réglementaires encrés dans un même cadre, celui de CRR/CRD4.

À l’aune de ces innovations, les sociétés de financement doivent cependant aussi s’adapter et intégrer à leur business model toutes ces nouvelles technologies financières. Leur compétitivité passera nécessairement par la proposition de solutions digitales complémentaires aux services existants. Mais je sais que vous en êtes pleinement conscients et que vous êtes prêts à relever ces défis pour continuer à contribuer de façon efficace au financement de l’économie française.

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