Actualités  |  28 mai 2018

Brexit : le Royaume-Uni pris dans la nasse bruxelloise ?

Depuis l’envoi le 29 mars 2017 par le gouvernement britannique de la lettre notifiant l’intention formelle du Royaume-Uni de quitter l’Union Européenne (UE), négociateurs européens et britanniques sont engagés dans une véritable course contre la montre : sauf coup de théâtre, le Royaume-Uni sera un Etat tiers au soir du 29 mars 2019 et la tâche, politique et technique, pour définir ce que seront ses relations avec l’UE, reste considérable. La perspective d’ouvrir des pourparlers avec les Britanniques, réputés redoutables tacticiens, a conduit Etats membres et Commission européenne à ériger en priorité absolue le maintien de l’unité des 27. En adoptant des principes fédérateurs et en laissant un groupe d’expert en première ligne, les Etats membres, qui ont des intérêts naturellement différents du fait des spécificités de leurs relations avec le Royaume-Uni, ont voulu éviter au maximum les risques de division.

C’est cette obsession qui a poussé les Européens à écarter toutes négociations spécifiques sur tel ou tel secteurs – en particulier pour le secteur financier. Les premiers mois de négociations semblent leur avoir donné raison.

La première phase satisfait à toutes les exigences européennes

Les Européens ont exigé et obtenu que le processus de sortie du Royaume-Uni de l’UE, soit séquencé en deux phases successives. La première porte sur le retrait en lui-même, la seconde doit permettre de s’accorder sur les relations futures. En décembre dernier, un accord politique sur les principes de la phase « une » a été trouvé. Tour de force, il satisfait à l’ensemble des demandes européennes tout en faisant peser les risques inhérents à ses ambiguïtés sur les Britanniques.

Il porte sur trois sujet clés. Le premier concerne le « règlement financier » : Européens et Britanniques se sont entendus sur la méthodologie de calcul des engagements britanniques envers l’UE, pour une somme qui pourrait finalement avoisiner les 50 milliards d’euros. Concession symbolique, le Royaume-Uni a accepté que le calcul du règlement financier et son paiement soient effectués en euros et non en livres, faisant porter à Londres le risque de change.

Second sujet sensible, la question des droits des citoyens européens vivant au Royaume-Uni et des Britanniques vivants dans l’UE. Le texte garantit que l’ensemble des droits des résidents européens vivant au Royaume-Uni avant la date effective du Brexit seront préservés. Sujet hautement symbolique outre-Manche, ces derniers seront sous la protection de la Cour de Justice de l’UE (CJUE) jusqu’en … 2027. Concrètement, cette dernière restera en la matière « l’ultime arbitre pour l’interprétation de la loi européenne » et aura autorité sur les tribunaux britanniques pour encore une décennie.

Le troisième point de l’accord porte sur la question nord-irlandaise. Les Européens avaient comme priorité la préservation des accords dits du Vendredi saint qui assurent l’absence de frontière physique entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord. Si les Européens ont eu gain de cause sur ce point, l’accord trouvé en décembre dernier stipule également que l’Irlande du nord « reste partie intégrante » du Royaume-Uni. Par ailleurs, ce sera à Londres « de faire des propositions » pour concilier ces principes qui semblent contradictoires. En outre, en l’absence de solution, le Royaume-Uni sera contraint …  de maintenir un alignement total avec les règles du marché unique et de l’union douanière, quel que soit l’accord final !

A ces trois sujets clés, les Britanniques ont eu gain de cause pour la mise en place d’une période de transition afin d’assurer un accès au Marché unique pour les entreprises britanniques après le 29 mars 2019. Toutefois, là encore, l’ensemble des conditions fixées par le Conseil ont été acceptées. Ainsi, la période de transition est limitée au 31 décembre 2020. Le Royaume-Uni devra par ailleurs se soumettre à l’ensemble de l’acquis européen tel qu’il existe aujourd’hui – normes européennes, mécanismes de réglementation, de supervision, de budget, d’exercice du pouvoir judiciaire et de contrôle du respect des règles, le tout sous l’autorité de la CJUE.

Plus surprenant, les dispositions qui seront adoptées par l’UE entre le 30 mars 2019 et le 31 décembre 2020 devront également s’appliquer au Royaume-Uni, sans que ce dernier ne puisse les influencer. Devenu pays tiers, le Royaume-Uni sortira en effet de l’ensemble du processus décisionnel de l’UE, que ce soit au Parlement européen, à la Commission européenne ou au sein de l’Autorité bancaire européenne. Certains en Angleterre se sont élevés contre cet accord, estimant que le Royaume-Uni devenait de fait un « état vassal » de Bruxelles…

La question nord-irlandaise n’est pas encore tout à fait résolue et les Européens ont clairement lié l’ensemble de ces enjeux en réaffirmant qu’il : « il n’y a d’accord sur rien tant qu’il n’y a d’accord sur tout ». L’objectif pour les Européens est donc de rendre ces dispositions « juridiquement contraignantes », en préalable à la phase deux des négociations relative aux relations futures.

Quelles relations futures ?

Un handicap pour le gouvernement britannique reste la défense d’objectifs qui semblent parfois difficilement conciliables. Il en est ainsi du souhait de quitter l’Union douanière et le Marché unique tout en en conservant un accès à ce dernier via un accord de libre-échange. De même, Theresa May a, au début du mois mars, expliqué qu’elle ne cherchait pas à conserver le passeport financier pour les acteurs localisés en Grande-Bretagne tout en appelant à trouver un mécanisme leur permettant de fournir leurs services sur tout le territoire de l’Union. Enfin, Philipp Hammond, le Chancelier de l’Echiquier, a expliqué que la divergence possible des systèmes européens et britanniques devrait toutefois « apporter des résultats règlementaires absolument équivalents ». Pour y parvenir, il souhaite la mise en place de régimes ad hoc de reconnaissance mutuelle.

Les Européens ont en revanche adopté jusqu’alors des principes difficiles à contrer. Un accord de libre échange est envisageable mais il devra contenir des garanties assurant des conditions de concurrences équitables et prévoyant des mécanismes de sanction. Les déclarations maladroites de Philipp Hammond en 2017 sur la perspective d’organiser une forme de dumping fiscal et règlementaire au Royaume-Uni pour compenser la perte d’attractivité du pays du fait de sa sortie du marché unique ont marqué les responsables bruxellois qui souhaitent se prémunir de toute ambigüité.

En ce qui concerne la fourniture de services, les Européens privilégient l’accès au marché « selon les règles de l’Etat d’accueil ». Ils se sont jusqu’alors opposés à ce que les services financiers fassent partie d’un traité de libre-échange et ont averti que « tout cadre futur devrait préserver la stabilité financière dans l’Union » ainsi que le respect et l’application des règles européennes. La mise en place de régimes d’équivalence spécifiques constitue leur premier scénario, qui ne convient pas aux Britanniques. Les équivalences sont en effet accordées – et retirées – à la discrétion de la Commission européenne, ce qui n’apporte aucune certitude en termes de pérennité. Le Royaume-Uni compte jouer sur le fait que l’UE est très excédentaire sur le commerce des biens pour parvenir à ses fins et définir un régime dédié. L’enjeu pour Londres est d’éviter que les firmes financières localisées en Grande Bretagne soient contraintes de créer dans un pays de l’UE-27 une filiale agréée par le régulateur local pour y poursuivre leurs activités.

Un premier accord d’ensemble – finalisation de l’accord de retrait et définition des grands principes relatifs à la relation future UE/UK – devra donc être trouvé d’ici l’automne prochain, afin que tous les parlements nationaux aient le temps de l’avaliser avant le 29 mars 2019. A cette date devrait débuter la période de transition ainsi que les négociations techniques relatives aux relations futures et à un possible accord de libre-échange. Ce calendrier reste pour l’instant très incertain et le Conseil a appelé dans ses dernières lignes directrices l’ensemble des institutions et des Etats membres à anticiper le scénario du pire : une absence d’accord en mars 2019. Et le saut dans l’inconnu.

Louis-Marie DURAND, EURALIA

30 mars 2018

 

 

 

Article en PDF
Consulter le document

Partagez cet article